Fanny Britt
C’est le patron, avocat de Wall Street, qui écrit l’histoire.
Il ne se nomme pas. Il se décrit comme un homme de loi sans ambition. D’une nature
sobre, âgé d’une soixantaine d’années, avec l’heur de seulement continuer à
faire rouler sa boîte dans une parfaite routine développée au fil des ans avec
ses dévoués employés : La Pince, Dindon et le jeune Gingembre, le narrateur
est attachant avec sa grande sensibilité et son affection pour ses copistes. D’une
grande empathie pour son mystérieux employé nouvellement embauché, Bartleby, il
tente de le comprendre, de percer sa carapace, toujours dans le but de l’aider,
mais parfois avec des sursauts d’exaspération, puis de désespoir. Quand il
découvrira que ce Bartleby s’incruste dans ses murs et son canapé, qu’il n’a
finalement pas de chez soi, et qu’il refuse les ordres donnés par son supérieur
par un «J’aimerais mieux ne pas» comme toute réponse, voire unique réponse
jamais offerte, notre narrateur lui montre la porte. Mais Bartleby «aimerait
mieux ne pas» et il ne quittera pas les murs, même quand l’avocat, excédé et en
même temps contrit préférera quitter ses bureaux, déménager au lieu de demander
aux autorités de le sortir. Ce sera le prochain propriétaire qui le fera… et
avec remord notre avocat ira s’enquérir de lui dans les murs de la prison en
prévenant le «fricotier», un mot que je n’ai pas retrouvé dans le dictionnaire
mais qui serait le cuisinier de la prison, de bien le nourrir. Mais telle une
feuille tombée de l’arbre à l’automne, Bartleby se laissera mourir tout comme
les lettres mortes dont il se chargeait à son emploi précédent.
L’ergonome en moi a aussi été interpellée par le scribe, le copiste, penché sur sa table de travail de longues heures. Mal au dos, le copiste qui rehausse sa table en plaçant des buvards sous les pattes jusqu’à ce que sa table soit à la hauteur de son menton, on parle d’un toit de maison espagnole, car ces bureaux étaient inclinés. Mal au dos, puis mal aux épaules on cite… je me suis prise à me dire, hoooo sûrement mal au cou aussi ces chers scribes!
J’ai beaucoup aimé les planches de Stéphane Poulin. C’est
des œuvres d’art. Je les ferais encadrées.